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Les Allumés de la pleine lune – 17 mai 2014

Le concept : un parcours de 53 km dans l’arrière pays Grassois, avec 1300m de dénivelé

Le départ : de nuit, à 22h au milieu d’une foule de 1800 joyeux allumés

Le matériel : frontale, chaussures de trail ou de rando, sac à dos pour enlever ou ajouter des couches au gré des variations de température de la nuit, bâtons, et enfin le gadget de cette édition 2014 :  un foulard-tube jaune (à mettre sur la tête comme un schtroumpf, autour du cou comme Lucky Luke ou au poignet comme Rafael Nadal).

J-1 : arrivée de mon père en gare de Cannes. Après 6h de train depuis la Bourgogne , il a bien mérité un arrêt dans une petite boutique au doux nom de Whisky Prestige, cachée entre la rue d’Antibes et la Croisette. Nous humons des Japonais, Ecossais, Irlandais, de la tourbe, du fumé, du boisé, trempons les lèvres dans 2 nectars hors de prix. Les quelques gouttes d’eau de feu nous traversent délicieusement le corps. Nous repartons avec une bouteille chacun (à déguster après la marche of course !). Bain de foule sur la Croisette noire de festivaliers.  Beaucoup d’agitation, de décapotables, de bling bling, trop d’ostentation et de monde…. Nous fuyons à la campagne.

Jour J : déjeuner en terrasse à la maison avec un petit verre de Bourgogne pour faciliter une sieste digestive, histoire de mieux encaisser la nuit blanche.

16h – Nous préparons nos affaires que nous étalons sur 2 chaises, le tee-shirt de l’association Laurette Fugain pour moi, celui du club de cyclistes –marcheurs de mon père.  L’excitation commente à monter ainsi que la joie de vivre ensemble cette nuit des Allumés. Je me sens même émue en photographiant notre équipement.

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19h – Départ en voiture pour Saint Cézaire – Je cafouille un peu dans Grasse, comme toujours, mais nous arrivons largement dans les temps à Saint Cézaire où nous nous garons dans un immense champ tout proche du stade et du départ. Des musiciens jouent une reprise des Shadows – je n’y suis pour rien mais c’était un des groupes fétiches de mon père.  Un bon présage 😉  Nous retirons le carton que nous devrons faire poinçonner à chaque étape ainsi que le foulard-tube jaune et des indications ultra précises sur les sentiers à emprunter que nous ne lirons jamais car c’est écrit en police 8 et le parcours est de toute façon très bien balisé.

20h30 – Sandwich + banane dans la voiture car la nuit tombe et il commence à faire frais. Autour de nous, des gens pique—niquent dans l’herbe, d’autres jouent aux cartes, un type enfile des chevillières et des genouillères – je pense à un samedi soir ordinaire où nous prendrions l’apéritif avant de diner tranquillement et de regarder un bon film. C’est tellement insolite d’être dans ce pré, à 1h du départ que je n’arrive pas à dormir alors que la seule inclinaison du siège suffit en général à me faire sombrer.

 

21h45 – Tout le monde s’amasse dans la bonne humeur. Quelqu’un braille dans un micro. Des journalistes interviewent une troupe de jeunes surexcités. Mon collègue Mathieu m’appelle ; nous sommes trop loin de lui et je lui dis «  à tout à l’heure peut-être » sans trop y croire. On nous rabat vers la scène mais le départ est à l’opposé alors les gens protestent mollement. Puis c’est le compte à rebours et c’est parti !

Je bazarde très vite le K-way , réchauffée par la marche et le monde. Pareil pour la frontale qui me serre la tête et que je mets autour du cou comme un gros pendentif. N’ayant pas pensé à changer les piles, je l’éteins .  Je ferai les ¾ de la marche sans, éclairée par celle de mon père ou des autres marcheurs .

Le temps passe très vite. Les  villageois sont  sortis de chez eux pour nous encourager ou porter un toast. Nous ne nous attardons pas au 1er ravitaillement de St Vallier. Pas besoin d’eau, pas encore faim, nous repartons pour Saint Cézaire et bouclons 21km  et 300m de dénivelé en 4h.  Beaucoup de personnes s’arrêtent là  Une  femme raccompagne 3 ados dans une voiture – Bravo les jeunes, il est quand même 2h15 du matin !

Pas de fatigue , nous enchainons en prenant conscience que le plus dur nous attend, les 680m de dénivelé qui nous séparent de Mons.

Autour de nous, les conversations se sont taries. Nous marchons au rythme du tic-tic des batons. Les vitesses sont régulières. Une femme  d’un certain âge avec une tresse immense  zigzague pour nous doubler en sermonnant mon père qui soi-disant la gêne avec ses bâtons….Je souris à mon père furibond. Laissons filer Pocahontas, la nuit commence à peine… Une descente interminable dans la caillasse ne présage rien de bon ; il va bien falloir remonter …Les balises rouges et blanches ont été parfaitement posées par les bénévoles très nombreux sur le parcours. Aucun doute sur le tracé. Aucun doute non plus sur la difficulté quand ça commence à grimper. Plus personne ne double, les souffles se font plus courts, j’enlève la dernière couche. Nous faisons des pauses. C’est long, très long mais nous ne sommes pas pressés et ralentir n’est pas vraiment une option facultative.

Nous aurons marché 34 km quand nous rallierons Mons. Mais Mons n’arrive pas. La côte est terminée, nous sortons de la forêt et toujours pas de signe de civilisation.. La première maison nous remplit de joie, le jour qui se lève aussi. Il est bientôt 6h du matin. Le froid se fait sentir. La vue sur le village de Mons avec la lumière du matin est magique. Nous croisons des marcheurs qui redescendent de l’étape de Mons, perchée en haut du village vers l’église, seul ravito en dur du parcours qui se mérite car il faut grimper des marches pour y parvenir. Les jambes, les genoux et les hanches coincent. Nous nous affaissons au chaud sur une chaise. Pour la 3e fois de la nuit, une bénévole nous demande «  Vous arrêtez ou vous continuez ? » Nous répondons en même temps « nous continuons » , fiers mais pas très frais.  Elle découpe le dernier triangle coloré des cartons que nous avons autour du cou,  qui permet de savoir combien de marcheurs restent encore sur le parcours. Je m’endors à moitié en mangeant un carré de chocolat et un morceau de quatre quart.  Mon voisin a renversé un coca sous ma chaise et j’essaie de ne pas marcher dedans mais je n’ai pas le courage d’aller chercher du Sopalin pour éponger. Les traits sont tirés, les visages un peu hagards. Mon père me propose de repartir et la remise en route nous coûte. Nous croisons Mathieu, sa femme et Pierre-Edouard un autre collègue. Nous nous disons de nouveau «  A plus tard ». La suite du parcours n’est pas vraiment dure mais nous marchons en mode Zombie, sans dire un mot, la tête vide. Le jour s’est complètement levé et psychologiquement, ça aide. Le plus dur est fait et les 19, puis 18, 17km qui restent sont à notre portée. Mon corps avance mais plusieurs fois mes yeux se ferment et je sens ma tête dodeliner. Pas certaine que dormir en marchant soit une brillante idée. Je résiste, je me secoue, essaie de me concentrer sur quelque chose d’agréable…sans succès. Je révise les cépages que je connais à haute voix. J’ai vite fait le tour et je me sens de nouveau à moitié engourdie. Nous pensons avoir fait 38km mais en fait c’est seulement 36. Pas grave, nous  marchons mécaniquement. Puis vers le 40e km, mon père grimace et je vois qu’il s’est fait mal au dos. Il est interdit de course à cause d’un disque usé et les chocs de cette nuit ont été trop violents. Il continue à marcher à moitié déhanché. Je propose d’arrêter ou au moins de porter son sac à dos. Il refuse. Nous continuons mais j’ai mal pour lui. Après 2km, Mathieu nous rejoint et –miracle- a un anti-inflammatoire dans son sac. Mon père le prend et accepte de se poser un moment. Il a du mal à s’asseoir sur une pierre. Le prochain ravito étant apparemment à moins de 1 km, nous décidons de le rallier doucement. Un bénévole venu à notre rencontre repart en courant pour que la navette nous attende. Mon père est déçu de ne pas être allé au bout mais nous avons quand même marché + de 44km en 11h et des brouettes, avec un dénivelé de 1000m.

A Saint Cézaire, nous recevons notre diplôme heureux comme des gosses et savourons un café bouilli et des mini-viennoiseries  dans un état à mi-chemin entre le coma et la béatitude.

Nous sommes heureux d’être là, assis par terre dans le soleil du matin, émergeant  à peine d’une nuit surréaliste.

Grisés par la fatigue et la douce sensation de décalage, nous savourons le retour en voiture, la douche réparatrice, le repas en famille pendant lequel nous racontons nos aventures tels des héros revenant de la guerre et l’envie irrépréssible de dormir à laquelle nous ne résistons pas cette fois.

Un moment unique comme on les aime, et très envie bien sûr de planifier un prochain  défi et une autre parenthèse privilégiée de dépassement et de partage.