Dimanche 22/11, retour de Paris avec Auriane. Nous sommes dans la navette Air France de 10h35.
L’agitation de l’installation est presque terminée. L’avion n’étant pas complet, tout le monde a pu ranger son sac sans écrabouiller celui du voisin. Derrière nous, une femme appelle sa fille d’une voix essoufflée pour la prévenir qu’elle est dans l’avion et qu’elle a failli le rater à cause des contrôles de sécurité plus longs que d’habitude.
Auriane côté hublot me regarde en fronçant le nez. Parmi les 50% de gènes que je lui ai transmis, elle a hérité de mon nez pas particulièrement gracieux mais extrêmement sensible.
Elle avait 4 ans quand j’ai réalisé qu’elle avait un nez, un vrai. Elle barbotait dans son bain comme tous les soirs et dit soudain sans préambule « ça sent le coussin ! » Le coussin, voyons voyons…. Après quelques questions pour détecter quelle odeur pouvait être associée à un coussin, j’ai compris qu’elle faisait référence aux coussins de Lyon. Ces friandises à base de chocolat et de pâte d’amande qui pèsent une tonne, coûtent un bras et sont une hérésie diététique absolument divine. Je venais d’acheter un nouveau gel douche Le Petit Marseillais à base d’amande. Auriane ne connaissait pas le mot « amande » mais « coussin de Lyon » oui. Et faire le lien entre une friandise de Noël et un produit cosmétique 4 mois après les fêtes, à 4 ans, c’est balèse…
Sauf que cette propension à identifier tout un tas d’odeurs partout peut conduire à des situations désagréables voire gênantes. Auriane a décrété un peu plus tard que les toilettes d’autoroute sentaient le surimi (je le savais que ce produit reconstitué n’était pas digne de figurer dans le frigo), puis s’est écriée haut et fort à une caisse de supermarché que ça sentait le gruyère râpé (l’hygiène douteuse et les pieds improbables du client derrière nous un jour de forte chaleur).
En voyant le nez d’Auriane se froncer dans l’avion, j’ai donc compris que nous allions passer un sale moment. Avec quelques secondes de retard sur elle, l’odeur est arrivée jusqu’à mes narines. Pas la sueur si fréquente qui finalement est acceptable en se concentrant fort sur autre chose. Plutôt une effluve de rat crevé, d’égoût, un mélange indéfinissable très très désagréable. J’ai fait le lien avec la mère stressée qui appelait sa fille. Le stress chez certaines personnes peut se manifester par une odeur pestilentielle ponctuelle qui n’a rien à voir avec l’hygiène. J’ai connu 2 collègues qui pouvaient ainsi faire fuir une horde d’ennemis (et d’amis) en situation de stress, comme le faisaient nos ancêtres il y a bien longtemps (et le putois aussi). La période de crise terminée, l’odeur disparait. Le problème est donc pathologique. Sans analyser plus loin l’origine de la puanteur de notre voisine qui – pas de bol- toussait et crachait aussi dans un mouchoir, j’ai pris mes cliques et mes claques et Auriane et nous avons migré de l’autre côté de la rangée où par chance les sièges étaient libres.
Passe alors le stewart qui indique à nos voisines de devant qu’elles peuvent si elles le souhaitent prendre leurs aises en s’installant sur les places que nous venons de fuir aussi discrètement que possible. Ces deux dames de forte corpulence se trouvent à côté d’un jeune sur lequel la dame du milieu déborde légèrement.
Dans un élan d’empathie, je glisse ma tête entre leurs sièges et souffle doucement « je vous déconseille de prendre ces places. Nous venons de les quitter car ça ne sentait pas très bon ».
Mes voisines me remercient – jusque-là tout va bien – mais quand le stewart repasse étonné de les trouver toujours là, l’une d’elle s’exclame « La dame derrière nous a dit que ça sentait mauvais ! »
Et – horreur, malheur- le stewart se penche sur la rangée vide en reniflant ostensiblement. « Je ne sens rien, attendez, je vais chercher ma collègue.”
Je suis cramoisie de honte, Auriane s’est ratatinée dans son siège le regard vers le hublot.
L’hôtesse arrive alors « vous trouvez que ça sent mauvais, vraiment » et se met à renifler à son tour puis ajoute « je ne sens rien c’est bizarre.»
Bizarre oui, incongru et gênant surtout pour la dame qui est à l’origine malgré elle de ce branle-bas de combat. Je n’ose la regarder. Je prie très fort pour qu’elle soit sourde en plus de toutes les misères qui l’accablent.
Le stewart et l’hôtesse croyaient quoi ? Que les sièges 21E et 21F sentaient le pétrole ou le pâté ou que sais-je encore, sans explication rationnelle ni provenance humaine ?
Ca m’apprendra à vouloir aider autrui. La prochaine fois, je me tais. Que chacun assume ses expériences olfactives après tout.
Les nôtres sont souvent fabuleuses, parfois moins, mais elles sont multiples et riches.
Mais c’est une autre histoire…..
L’histoire d’un père qui sent le bureau la semaine et la guêpe le WE, d’un danseur qui sent le placard, d’une fille qui sort de la rame de métro avant d’être arrivée à destination quand les agressions olfactives sont trop fortes, et qui se douche avant le karaté pour ne pas incommoder ses partenaires, l’histoire d’un nez pas particulièrement gracieux mais extrêmement sensible…